Une lettre à Rosa

Une lettre d'amour

À la minute où j’ai vu le message de mon frère, j’ai tout de suite su que quelque chose de grave est arrivée. Par instant de survie, je pense toujours au pire. (le cerveau de mes ancêtres n’étant pas pour rien). Et pour cette fois, je ne m'étais pas trompée… Les mains tremblantes, je reprends mon téléphone, je m’efforce de sourire, avant qu’il m’annonce qu’elle est partie, il insiste qu’elle n’a pas souffert, comme si cette censée m’enlever la peine.

Étant amoureuse des mots, je crois profondément aux pouvoirs de ces derniers, ils ont la capacité de nous rassurer, désamorcer nos angoissants, accentuer nos joies, enlever nos craintes.

Mais là, aucun mot ne pouvait changer les choses, il n’y avait rien à dire. Cette fois-ci, ils n’ont pas de pouvoir sur moi.Comme une dissonance cognitive, trop douloureuse à encaisser.

Comment composer avec le vide qu'elle a laissé derrière elle ?

Et cette fois, cette peine devait passer par le corps. C’est dans le corps une douleur, une sensation impossible à intellectualiser. Elle s’installe au niveau de l’abdomen. Elle se fait entendre.

Pris dans le tourbillon du quotidien, on passe notre temps à tenter de rationaliser ; complètement coupé de son corps. D'un coup, je suis saisi par l’intensité de ce que je ressens. Elle est partie, et je n’ai pas pu lui dire au revoir.

Alors, je continue avec tous ces actes manqués, à jamais rattrapable, et je tente de faire vivre ce que, elle m'a transmis, et de me rappeler la chance inouïe de l'avoir dans ma vie.

Sa façon de dire, je t’aime, c'était préparer ton repas préféré. Même si ça lui prend des heures de travail. Elle avait mis à notre disposition tout son savoir, son énergie, son argent, son temps, en arménien, on dit ‘ նվիրված լինել’ ( nvirvac linel )ce que je traduis comme quelqu’un qui fait littéralement   cadeau de sa personne à sa famille. Voilà la mamie que j’ai eue, et je n’ai pas su être à la hauteur.

Alors, je pose ici les mots que j’aurais aimés de lui dire.

 Merci pour cette douce enfance,

Merci de m’avoir fait découvrir la mer, veiller que les moustiques ne me piquent pas pendant que je dorme, merci pour tes multiples tentatives de m’apprendre tes délicieuses recettes de cuisine et être ma couturière préférée

Merci pour ces après-midi passé en ta compagnie, dans la véranda de notre appartement, je me vois assise par terre dans les milieux des étoffes, de ta machine à coudre, de tes croquis. Le tissu que je découvrais avec une joie réservée à l’enfance, et que je pouvais à mon tour utiliser pour mes poupes. Sur la cuisinière, il y a le repas du soir qui mijote. Tu es assise à ton bureau, serine, concentrée, déterminée.

Depuis que tu es partie, je me dis tous les jours que j’aurais dû te le dire au moins une fois, que tu m’as beaucoup inspirée, tu m’as appris aimer sans conditionne, à rester fidèle à sa tâche, aller à l’essentielle, rester forte quoi qu’il arrive, s’affirmer, mais aussi céder quand il faut, et en somme, tu m’as appris la vie. Tu m’aurais trouvé surement trop sentimentale, et tu m’aurais dit que je doute trop, et que la vie est trop courte pour ça.

Mais j’ai quand même envie de te le dire ; merci, mamie chérie !

 

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Par Loucine Asatryan

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