Ma mémoire

Je tente d'explorer la nature complexe de la mémoire, soulignant comment nos souvenir sont influencés par nos émotions et nos perceptions. À travers des réflexions personnelles et des exemples concrets, j'interroge la manière dont notre récit individuel se construit, parfois au détriment de la réalité.

Il vous est déjà arrivé de vous rendre compte que vous conservez de faux souvenirs ?
Être persuadée d’avoir été présente à une soirée, mais en vérifiant l’agenda, vous vous apercevez que vous n’étiez pas en ville ce jour-là ?
En rentrant à Erevan après 10 ans d’absence, une à une, je retournais aux restaurants ou lieux que j’aimais fréquenter quand je vivais là-bas. Dans mes souvenirs, c’étaient les meilleurs goûts, les meilleurs plats, les meilleures vibes ; j’étais impatiente de les goûter à nouveau et aussi de les faire découvrir à mon mari et à mes filles.
Ma déception était à la hauteur de mes attentes. Évidemment, depuis 10 ans, mon palais avait évolué, mais de là à ne plus aimer les plats que j’aimais tant... j’étais perplexe.
Ma mémoire ne m’a pas complètement trahie. Il m’est bien sûr arrivé de ressentir l’effet de la madeleine de Proust, mais cela s’est produit plus souvent de manière spontanée.
Actuellement, il est difficile pour nous de nous souvenir d'éléments comme les numéros de téléphone. Les chercheurs ont nommé ce comportement "amnésie digitale". Notre mémoire s’adapte visiblement à nos modes de fonctionnement. On ne se souvient plus du numéro de téléphone de sa sœur, mais on se rappelle parfaitement où il est enregistré.
Comme de nombreuses femmes juste après l’accouchement, moi y compris, on dit en toute sincérité : "plus jamais".
Dans une perspective plus grave, après un accident, par exemple, on se promet de changer de comportement, mais on s’y tient rarement. Au-delà de la difficulté de tenir la promesse, on l’oublie tout simplement.
Quand, le 19 septembre 2023, l’Azerbaïdjan bombarde l’Artsakh pour marquer le point final du blocus en cours depuis décembre 2022, une question me rôde dans la tête sans cesse.
Cette question force le passage dans mon esprit, aux côtés de la peine pour les miens et de la stupéfaction face aux horreurs :
Pourquoi l’espèce humaine est-elle incapable de se souvenir de son histoire ?

Peut-être que le fonctionnement de notre mémoire peut expliquer certains de nos comportements. Par exemple, avec l’arrivée au pouvoir d’un certain populiste dans les années 30 en Allemagne et le désastre qui a suivi.
À croire qu’on a tout oublié.
Pourtant, notre mémoire nous sert aussi à utiliser les informations disponibles, à ne pas refaire les mêmes erreurs, à analyser le passé, à anticiper l’avenir et à être créatifs.

Voici ce que j’ai pu lire dans le livre Vous avez le pouvoir de Michel Cymes et Fabien Olicard concernant le fonctionnement de la mémoire, notamment l’encodage, le stockage et la récupération.

Si un souvenir est bien encodé (car chargé émotionnellement ou associé à des connaissances), puis bien stocké (beaucoup de répétitions et de sommeil), il sera bien récupéré au moment voulu. Une fois rappelé, le souvenir redevient ‘actif’. Pour le ranger de nouveau dans le disque dur de vos mémoires, il faut le réencoder et le restocker. Sauf que pendant sa réactivation, comme un document Word que vous avez rouvert, vous l’avez peut-être modifié. Quand vous le réenregistrez, il n’est plus exactement comme la première fois. Les modifications ont été intégrées, indissociables du document original.
C’est d’ailleurs ce qui se passe quand vous racontez souvent une histoire qui vous est arrivée. Votre version actuelle est sincère (vous ne cherchez pas à mentir), mais elle n’est plus tout à fait vraie non plus.
Comme un spectacle qui se construit, à chaque fois que vous allez raconter l’histoire, vous allez l’améliorer jusqu’à avoir de grandes différences avec l’originale.

En somme, dès qu’on se remémore un souvenir, on le modifie.


La malléabilité de nos souvenirs
Si vous êtes joyeux au moment où vous vous souvenez du souvenir, grâce aux connexions entre différentes parties du cerveau, cette émotion positive se lie au souvenir. Le tout sera consolidé avec l’émotion joyeuse incluse. Plus tard, il sera impossible de savoir si cette joie a été ajoutée a posteriori ou si elle était déjà présente lors de l’événement initial.
Il se passe évidemment la même chose si vous êtes déprimé.

Nos souvenirs sont influencés par nos émotions. Suite à un événement vécu, deux personnes peuvent garder des souvenirs différents, car à l’instant T, elles étaient traversées par des émotions différentes.
L’exemple le plus flagrant pour moi est lorsque la fratrie raconte son enfance, ou lorsque deux couples racontent un voyage dans la même ville, au même moment. Les récits varient tellement qu’on en vient à se demander s’ils ont bien grandi dans la même famille ou s’ils ont bien fait le même voyage.

La mémoire est hautement subjective ; elle n’imprime pas la réalité brute des faits, mais notre propre perception des événements, teintée par nos émotions du moment.

Cette subjectivité peut être même effrayante, tout en étant décomplexant à observer.

Le cerveau est très sensible à la suggestion et il a horreur du vide. Quand les informations lui manquent, il les invente pour boucher les trous et donc il peut créer de faux souvenirs.



La mémoire et notre identité
Nous bâtissons notre récit individuel ou familial, souvenir par souvenir. À force de se répéter ou d’entendre les mêmes histoires, la frontière devient très floue entre la légende familiale et la réalité.

Il peut arriver qu’on se mente. Nous sommes nostalgiques de nos années passées, mais à y regarder de près, comme pour enlever la buée de la fenêtre en hiver, on s’en rend compte : à l’instant T, on est rarement heureux, du moins conscient du bonheur présent. Non, nous, les humains, nous aimons bien raconter qu’avant c’était bien, qu’avant nous étions heureux.

Ressources :

Mémoire Vous avez le pouvoir Michel Cymes & Fabien OLICARD

Conversation : Mais qu’est ce que la mémoire ?

Conversation : La mémoire du futur a-t-elle un futur ?


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Par Loucine Asatryan

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