"Quelle est l'influence de la langue sur la personnalité et le comportement des bilingues ?"
C’est curieux, elle ne se comporte pas du tout de la même manière quand elle parle sa langue maternelle et quand elle parle en français, m’a confié une copine, en parlant d’une connaissance
Il ne m’en fallait pas plus pour m’intéresser de près à ce sujet.
Un petit récapitulatif technique de ce qu’est le bilinguisme, ou plutôt, les spécialistes parlent de spectre bilinguistique.
C’est le concept qui montre la diversité du bilinguisme au-delà d'une vision binaire. Il examine les variations dans les compétences, l'utilisation et l'acquisition des langues, ainsi que les attitudes et identités linguistiques des individus bilingues.
1. Compétence linguistique :
o Équilibré : Maîtrise égale des deux langues.
o Dominant : Une langue mieux maîtrisée.
o Passif : Compréhension sans parler couramment.
2. Utilisation des langues :
o Formel vs informel : Différentes langues pour le travail/éducation et la famille/amis.
o Domaines spécifiques : Une langue pour les sciences ou affaires, l'autre pour le quotidien.
3. Acquisition des langues :
o Simultané : Apprentissage dès la naissance.
o Séquentiel : Apprentissage d'une langue puis de l'autre.
4. Attitudes et comportements linguistiques :
o Intégré : Confort et identification avec les deux langues et cultures.
o Marginal : Inconfort dans les deux langues et cultures.
o Préférence : Préférence pour une langue dans certaines activités.
Dans les années 1500, les colons espagnols et portugais mélangeaient les ethnies de leurs esclaves, séparaient les familles, interdisaient l’usage du tambour, ayant vite compris qu’ils pouvaient se parler d’un village à un autre. Ils avaient également l’interdiction de pratiquer leur culte et de prier leurs dieux, et bien sûr, ils avaient l’interdiction de parler leur langue d’Afrique.
Le but étant de supprimer leur africanité. Il aura fallu attendre plusieurs siècles avant que les descendants d’esclaves aient les moyens techniques de se reconnecter avec leurs racines, simplement pour savoir de quel coin d’Afrique ils sont issus.
Plus récemment, j’ai vu un article dans ‘The Good Life’ mettant en lumière le projet en Afrique du Sud ‘IA pour les Africains, par les Africains’, ciblé sur leurs problèmes, ainsi que l’introduction des langues africaines - parfois orales - dans la formation des modèles linguistiques. Il s’agit d’une alternative africaine à ChatGPT.
Il est évident que l’importance de la langue dans la transmission culturelle est cruciale. La langue nous donne beaucoup de liberté.
Les pouvoirs publics n’hésitent pas à se servir de cette information. George Orwell, dans son roman « 1984 », décrit un monde où l’anglais est remplacé par une autre langue afin de réduire le vocabulaire pour empêcher les gens d’argumenter ; réduire la pensée en somme.
Les Arméniens vivant dans l’empire Ottoman parlaient l’arménien occidental, qui est considéré comme une langue en danger par l’UNESCO depuis 2010. Les universitaires issus de la diaspora ont commencé à entreprendre des actions de préservation.
En effet, en Arménie, la langue officielle est l’arménien oriental, même s’il s’agit simplement de groupes dialectaux de la même langue. Au niveau plus local, dès qu’une communauté arménienne se crée dans une nouvelle ville, si les moyens le permettent, on crée une église et une école, au minimum une école de dimanche. En fonction des communes, soit l’arménien occidental, soit l’arménien oriental est enseigné.
Qu’est-ce qu’on valorise dans une société donnée, quelles sont nos projections ? Quand on parle de l’avenir en français, et du passé en arménien. Ou encore, sous un prisme différent, le peuple des ‘Aymaras’ vivant en Bolivie actuellement, en parlant du passé, ils disent que c’est devant eux et quand ils parlent du futur, c’est derrière eux.
Susan Ervin-Tripp, professeure émérite à Berkeley, a mené une étude dans laquelle elle a demandé à des femmes nippo-américaines de compléter les phrases qu’elle leur donnait en japonais et en anglais. Elle a constaté qu’elles proposaient des fins très différentes selon la langue utilisée. Ainsi, pour la phrase commençant par « Quand mes souhaits entrent en conflit avec ma famille », la terminaison japonaise d’une participante était : « ... c’est une période de grand malheur », alors que la terminaison anglaise était « ... je fais ce que je veux. »
Les comportements bien appris sont des cas particuliers du principe - compter, faire de l’arithmétique, prier, etc. - car une langue a généralement le contrôle exclusif de ce comportement. Alors que je pensais que je continuais à compter en arménien car les chiffres en français… disons qu’on pouvait faire mieux et trouver un mot pour dire 80 et non 4x20 😊
François Grosjean, professeur de psycholinguistique à l’Université de Neuchâtel, affirme : « C’est l’environnement, la culture et les interlocuteurs qui amènent les bilingues biculturels à changer leurs attitudes, leurs sentiments et leurs comportements (ainsi que la langue) – et non leur langue en tant que telle. En substance, il ne semble pas y avoir de relation causale directe entre le langage et la personnalité. »
Un dernier point très important à prendre en compte dans nos interactions avec les bilingues, bien sûr, c’est la culture, si la personne est porteur de la bi-culture ou mono-culture, et de manière plus générale dans quel cadre et pour quel but la personne utilise la deuxième langue (uniquement professionnel, en famille).
Je crois qu’on se plie aux règles de la langue, aux façons admises ou non de parler dans cette langue-là, dans cette société.
Cette idée ouvre la possibilité sur une multitude de points de vue sur le monde, à la condition qu’on accepte de parler la langue de ce pays. On voit des personnes en France qui ne parlent pas le français, ou bien des personnes qui vivent en Arménie et qui ne parlent pas arménien. Sans aucun jugement envers ce comportement, la question est de savoir si ces personnes tiennent à conserver leur point de vue, leur façon de penser, et dans une certaine mesure c’est une façon de conserver leur identité culturelle, ou bien parce qu’ils n’ont pas réussi à apprendre.
Dans le 1 cas, c’est une vraie privation d’une ouverture à un nouveau monde, à une nouvelle système de pensée, mais qui suis-je pour en juger…
Ressources :
André Manoukian ‘Sur les routes du jazz’
Magazine ‘The Good Life’ N° 62
Anaid Donabedian Page personnelle (free.fr)
Change of Language, Change of Personality? Uncovered Data | Psychology Today