Mon amie

L'amitié comme une relation précieuse et fondamentale, offrant un espace où l'on peut être authentique, sans jugements ni attentes. En dépit des conseils de ne pas idéaliser, l'amitié reste un refuge essentiel, surtout dans un monde où les autres structures de soutien, comme la religion ou les entreprises perdent leur sens.

« L’amitié, c’est le cœur sans le corps. »

Elle est vraiment mise sur un piédestal, extrêmement précieuse. J’entends souvent qu’il ne faut pas idéaliser ni sacraliser, mais à quoi s’accrocher dans ce monde ? À quoi croyons nous encore ? Dans des moments de grands bouleversements sociétaux, comme celui que nous vivons aujourd’hui, nous sommes peu nombreux à nous tourner vers la religion. Le développement personnel a fini par montrer ses limites, et les entreprises qui se voulaient comme « une famille » ont cessé de mettre ce terme franchement hypocrite dans leurs annonces.

Et si nous cherchions du réconfort dans nos amitiés ? L'un des souvenirs les plus doux de l’enfance est marqué par des notes de joie et de complicité sincère. Je pourrais parler longtemps de mes amitiés, que je m'empresse de qualifier de "vraies", pour décrire la beauté de ce lien infaillible, qui rendait les garçons jaloux.

Je mesure maintenant la chance inouïe d’avoir été accompagnée depuis l’âge de 6 ans jusqu’à 21 ans par une amie incroyable. Comme cela ne suffisait pas, j’ai rencontré à mon adolescence une autre amie qui ne m’a pas quittée jusqu’à mes 21 ans. Ces filles-là m’ont appris la générosité, la sincérité, à être entière dans une relation, à se donner sans attendre en retour, et la loyauté. Nous avons partagé ensemble les difficultés d’être adolescentes au début des années 2000 à Erevan.

Mon amie, dès son plus jeune âge, a été réduite à sa beauté. Souvent, les personnes qu’elle rencontrait n’avaient aucune envie de la connaître vraiment, s'arrêtant à sa beauté. Ils ont raté l’opportunité de rencontrer une jeune fille incroyable.

L’amitié a de l’unique, un espace singulier où nous pouvons être nous-mêmes. Pas de dépendance, d’intérêt, de hiérarchie. On parle d'égal à égal, sans sentiment amoureux, mais l'amour y est bien présent.

Je trouve la rupture amicale inconsolable. Quelle que soit la raison, pour ma part, ce fut pour des raisons géographiques, d’éloignement. Je me rends compte qu’à partir du moment où l’on ne partage plus le même environnement social, il n’est pas aisé de conserver une relation.

Nous arrivons dans un espace public avec tous nos a priori, notre culture, et tous les raccourcis que notre cerveau fait pour économiser de l’énergie. Nous sommes moins intéressés par faire de nouvelles connaissances. Actuellement, nous avons plus tendance à l’individualisme et au repli sur soi.

L’amitié depuis l’angle interculturel

Fons Trompenaars, se basant sur des recherches en sciences humaines sur le rôle du système culturel dans la formation de la personnalité, appuie l’hypothèse que, selon les cultures, certaines informations ou interactions sociales appartiennent au domaine public ou, au contraire, sont réservées à la sphère des relations privées. On appelle « pêche » et « noix de coco » ces modèles d’interaction.

Dans les cultures « pêche » comme aux États-Unis ou au Brésil, on a tendance à se montrer amical avec des personnes que l’on vient juste de rencontrer. Mais après ce premier contact sympathique, on risque de tomber soudain sur la partie dure, le noyau, sous lequel la pêche protège son moi véritable.

Dans les cultures « noix de coco » (russe, arménienne), les gens sont plus fermés (comme la coque de la noix de coco) vis-à-vis de ceux avec qui ils n’ont pas de relation d’amitié. Mais progressivement, si la relation devient amicale, elle aura tendance à durer plus longtemps.


Quelle que soit l’époque et la culture dont on est issu, la relation d’amitié a de l’importance. Aristote pensait que l’amitié constituait, avec la justice, le ciment des relations sociales et du lien civique de la cité. Sous la Révolution française, Saint-Just souhaitait que l’on déclare ses amis. Tout homme âgé de plus de 21 ans devait déclarer ses amis et renouveler cette déclaration chaque année.

Déclarer nos amis, un peu radical, mais l’idée est intéressante dans la mesure où nous devons reconnaître l’engagement que nos relations exigent. Évidemment, il s’agit d’une relation qui se construit sur la base du volontariat, et dans l’engagement, on peut se demander s’il y a quelque chose de contraignant. Mais alors, où placerait-on la valeur de l’amitié ? Il s’agirait simplement de la consommer comme un produit, à un moment donné.

Mais existe-t-il quelque chose dans ce monde, quelque relation que ce soit, qui ne demande pas un effort, un engagement ? Je crois que l’attachement naît justement de ces efforts-là.

La science a prouvé depuis bien longtemps l’importance des liens dans la construction d’un jeune enfant. À l’adolescence, tout s’amplifie, et sur le chemin vers la vie d’adulte, l’amitié est notre lieu d’appartenance par excellence.

L’étude "Harvard Study of Adult Development" est souvent citée sur l'importance des liens sociaux. Cette étude a commencé en 1938 et est l'une des plus longues études sur le développement adulte jamais réalisées. Les chercheurs ont suivi deux groupes de participants sur plusieurs décennies : un groupe de 268 étudiants de Harvard et un groupe de 456 garçons issus des quartiers pauvres de Boston. L'étude a collecté des données sur la santé physique et mentale des participants, ainsi que sur leurs relations personnelles et professionnelles. L'une des principales conclusions de cette étude est que des relations sociales solides sont essentielles pour le bien-être et la longévité. Les résultats ont montré que les personnes ayant des liens sociaux solides sont généralement plus heureuses, en meilleure santé et vivent plus longtemps que celles qui sont moins connectées socialement.

Mais je crois que malgré toutes les preuves et les études en faveur de la création du lien, des conseils à ne pas cesser de faire des amis à l’âge adulte, nous ne savons pas vraiment quoi faire de nos liens et des amitiés quand on se rend compte qu’on n’a pas tout à fait évolué dans la même direction, ou face aux amitiés sans lendemain, car au fond, nous savons que l’amitié est rare. Célébrons nos amitiés ou au moins le souvenir d’une amitié.

Voici un extrait touchant de "Mémoires d'une jeune fille rangée" où Simone de Beauvoir évoque son amitié avec Élisabeth "Zaza" Lacoin :

"Je venais de me faire une amie. Et, peu à peu, Zaza a pris dans ma vie une place unique. Je la trouvais belle, intelligente, courageuse, passionnée ; elle s’intéressait à moi, me parlait avec une franchise totale ; elle me faisait confiance et elle attendait de moi que je lui ouvre mon cœur. Zaza me confia ses joies, ses peines, ses ambitions ; nous échangions nos pensées les plus secrètes. Elle devint à la fois une confidente, une compagne, une sœur, une autre moi-même. Notre amitié n’a jamais eu de précédent ni de réplique. Elle a marqué ma vie à jamais."

Ressources :

Article de la Harvard Gazette : Good genes are nice, but joy is better. Over nearly 80 years, Harvard study has been showing how to live a healthy and happy life — Harvard Gazette

Erin Meyer La carte des différences culturelles

Conversation : L’amitié fait-elle toujours du bien aux adolescents ?

Podcast : Emotion ‘L’amitié comment sait-on qu’on est ami(e)  avec quelqu’un ?

Amis, chers amis : Bernard Pivot

 

La newsletter de Louciné Asatryan

Par Loucine Asatryan

Les derniers articles publiés